EUREKA – “Matera, écologie mode de vie”
Rivista scientifica francese
écologie, mode de vie
Settembre 1999 n. 47 (pag. 36-43.)
Depuis les bords du ravin d’où l’on domine la ville, Matera semble abandonné. Dans ce Sud italien, écrasé de chaleur l’été, les grottes s’alignent sur la falaise, trous béants parfois fermés par une porte en métal, cadenassée, comme pour l’éternité. A l’extrémité de la ville. les herbes ont envahi les lieux. Le crane chauve dépassant des coquelicots et des bleuets, un homme soixantaine d’années passe sous les barrières ” Danger risque de chute de pierres ” poussant une brouette où deux dames-jeannes s’équilibrent difficilement. A l’entrée de la grotte où il garde son vin, un panneau indique le nom du propriétaire : ” Pepe “.
Un esprit d’autosuffisance
Dans les années 50, 15000 personnes ont été évacuées de ces habitations troglodytiques. Aujourd’hui pourtant, Matera, située dans la région Basilicate, est le plus grand site urbain en restauration de toute la Méditerranée. Objectif: retrouver le caractère archaïque de la cité, utiliser son système d’architecture tout a fait particulier et plusieurs fois millénaire pour faire de cette ville un modèle de ” développement durable “.
Derrière cette expression galvaudée par les défenseurs de l’environnement, Pietro Laureano, architecte et urbaniste originaire de Matera et responsable a l’Unesco du développement des zones arides, a su mettre quelques idées simples. ” Alors qu’une ville conventionnelle exploite pour se développer des ressources extérieurs, Matera s’est construite selon un modèle exactement inverse, en utilisant sur place tout ce qui était nécessaire à son expansion : les matériaux, l’énergie, l’eau, explique-t-il. C’est dans cette esprit que nous réhabilitons la ville. Je crois que la modernité ne réside pas dans les habitation de ciment et de béton construites sur les hauteurs dans les années 60, mais qu’elle doit être cherchée dans cette ville antique qui a toujours su utiliser son environnement tout en le respectant ”
Derrière cette expression galvaudée par les défenseurs de l’environnement, Pietro Laureano, architecte et urbaniste originaire de Matera et responsable a l’Unesco du développement des zones arides, a su mettre quelques idées simples. ” Alors qu’une ville conventionnelle exploite pour se développer des ressources extérieurs, Matera s’est construite selon un modèle exactement inverse, en utilisant sur place tout ce qui était nécessaire à son expansion : les matériaux, l’énergie, l’eau, explique-t-il. C’est dans cette esprit que nous réhabilitons la ville. Je crois que la modernité ne réside pas dans les habitation de ciment et de béton construites sur les hauteurs dans les années 60, mais qu’elle doit être cherchée dans cette ville antique qui a toujours su utiliser son environnement tout en le respectant ”
Premières citernes à l’âge du bronze
Si une présence humaine est attesté à Matera des le paléolithique, c’est a partir du néolithique que la ville actuelle est occupée par des tribus semi-nomades qui trouvent dans les gravines (reliefs calcaires traverses par de profondes crevasser) des lieux d’étape privilégiés. A l’ âge du bronze, la diffusion des outils facilite les travaux de creusement de la roche calcaire tendre, le ” tuf “. Les premiers citernes permettant de conserver l’eau pour les cultures sont sans doute creusées à cette époque. Une structure énigmatique affleurant le sol de la ravine (voir photo p. 39) où l’on observe deux cercles concentriques de pierre. traversés par un ” couloir ” aboutissant à une cavité, témoignerait encore aujourd’hui de ces premières citernes. Certaines des plus anciennes habitations utiliseront ces citernes comme unique ” chambre ” : la plus élémentaire configuration de maison (voir ci-dessous) consiste en une simple caverne avec un mur de clôture formé par les blocs extraits de la caverne. Ensuite, l’habitation typique prend la forme d’une pièce voûté (“lamione”,) construite a l’air libre mais greffé sur la grotte primitive. La voûté de pierre évite de recourir au bois pour construire les toits. Le toit lui-méme, le long duquel s’alignent de larges rebords de chaque côté, facilite la récupération de l’eau et son acheminement vers la citerne. Sur l’ensemble du site, le collectage des flux d’eau au moyen d’un réseau de rigoles de citernes et de grottes permet de conserver le terrain en protégeant les pentes contre l’érosion. L’eau rassemblée sur le plateau alimente tout le village en utilisant la seule force de gravité.
L’eau, drainée et contrôlée
Les habitants de Matera avaient également réglé a leur manière le problème de la climatisation de leurs habitations. Eté comme hiver, la température dans les grottes se maintient à 15 degrés. Par quel miracle? Chaque grotte forme à elle seule une chambre de condensation. Durant la nuit, la bruine déposée sur la pierre s’infiltre dans la fosse où elle est recueillie et se conserve à l’abri de la chaleur du jour. Pendant la journée, l’humidité apportée par le vent est introduite entre les pierres, et condensée par la température plus basse de cette chambre où est recueillie l’eau. ” Mai pour que le système fonctionne, il faut conserver la porosité de la pierre, explique Pietro Laureano. Certains, au moment de la restauration. ont enduit les murs d’un vernis imperméabilisant… et provoqué des inondations ! ”
La ville ancienne s’accommode mal en effet d’aménagements modernes incontrôlés, “Tout le système urbain complexe fondé sur le drainage, le contrôle et la répartition des eaux, est resté intouché jusqu’au XVIII siècles. poursuit Pietro Laureano.
Mais au XIX, et surtout au XX siècles, la capacité de gestion communautaire des ressources disparaît. La ville moderne s’étend en amont des lignes de pentes de ruissellement, là où la cité antique ne s’était, jamais aventurée. Le comblement des cours de drainage, transformés en route, et la destruction du réseau capillaire de collectage hydrique brisent des contraintes millénaires qui exigeaient le respect d’un équilibre : celui d’un développement urbain proportionne à la rareté des ressources naturelles. ”
L’enfer de Dante
Dans son roman le Christ s’est arrête à Eboli Carlo Lévi raconte le sentiment d’horreur ” mêlé d’émerveillement pour sa tragique beauté ” que lui inspire cette ville. ” C’est ainsi qu’à l’école nous nous représentions l’enfer de Dante ( … ) J’apercevais l’intérieur- des grottes, qui ne voient le jour et ne reçoivent l’air que par la porte. Certaines n’en ont même pas, on y entre par le haut, au moyen de trappes et d’échelles. Dans ces trous sombres, entre les murs de terre je voyais les lits, le pauvre mobilier, les hardes étendues . Sur le plancher étaient allongés les chiens, les brebis, les chèvres, les cochons. Chaque famille n’a en général qu’une seule de ces grottes pou- toute habitation et ils y dorment tous ensembles, hommes, femmes, enfants et bettes. Vingt mille personnes vivent ainsi ( … ).je n’ai jamais eu une telle vision de misère (… ).J’ai vu des enfants assis sur le seuil de leur maison, dans la saleté, sous le soleil, les yeux mi-clos et les paupières rouges et enflées “.
Les conditions de dégradation de l’hygiène sont telles que le gouvernement italien décide d’évacuer les occupants des 3000 habitations, dont 1641 ont été définies comme troglodytiques. Une ville entièrement nouvelle qui compte aujourd’hui 50 000 habitants, est construite au-dessus des deux quartiers de Sassi (” pierres “, en italien).Il faudra presque quarante ans pour que l’idée d’une réhabilitation des quartiers troglodytiques se concrétise. Un appel d’offres est lancé dans les années 80 pour savoir quel avenir leur donner.Faut-il les détruire, en faire un musée, les réutiliser, comme salles d’expositions? Alors que l’Unesco décide en 1993 d’inscrire la ville sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, au motif que ” ce parc naturel et archéologique a acquis une valeur universelle exceptionnelle, résultant de la symbiose entre les caractéristiques culturelles et naturelles “, l’idée de faire revenir la population dans les habitations d’origine finit par s’imposer.
Les enfants reviennent à Matera
Dans la très grande majorité des cas, ce ne sont pas les anciens habitants des grottes qui manifestent l’envie de revenir. Ceux-là ont généralement de trop mauvais souvenirs de maisons totalement insalubres.
Certains pourtant en sont restés propriétaires. Gomme ce menuisier, qui a gardé sa grotte de 50 mètres carrés pour les fêtes de famille, continuant d’y célébrer Noël et les communions de ses enfants, préférant les réunir là plutôt que de salir son nouvel appartement.
La majorité des candidats au ” retour ” se trouve en fait parmi ceux qui n’y ont habité, parmi les enfants et les petits-enfants des anciennes générations.A première vue pourtant, la pièce humide et sans lumière la mousse verte sur des murs dégoulinant d’humidité, sont plutôt repoussantes. ” Il fallait donc donner l’exemple, et prouver que ces grottes, à condition d’être correctement restaurée étaient des habitation extraordinaire “. On ne s’étonnera pas que la demeure de Pietro Laureano et son cabinet d’architecture puissent rivaliser avec certaines maisons de magazines de décoration. Mais le plus stupéfiant est de voir la métamorphose s’opérer aussi bien pour des magasins d’alimentation, des bureaux d’informatique, ou des habitations ” ordinaires “. L’Etat italien participe à hauteur de 50% au financement de tous les travaux de rénovation, et depuis deux ans, les cours de l’immobilier dans les Sassi ont commencé à grimper. Deux mille habitants ont déjà réintégré l’ancienne ville, et il est prévu de ne pas dépasser 7 000 pour respecter l’équilibre.
Des projets fous
Enfin, pour se conformer à ce modèle de ville respectueuse de l’environnement, les projets les plus fous sont lancés, dont certains ont de grandes chances d’être concrétisés: abolition de la voiture dans les vieux quartier, recyclage des déchets en réalisant, quartier par quartier des unités de compostage fournissant l’humus
nécessaire aux futurs jardins suspendus retrouvés. Pour l’énergie, plutôt que d’utilíser des panneaux solaires, trop encombrants en espace, on envisage de recourir au biogaz. Enfin, une exception à la loi italienne qui interdit l’utilisation directe de l’eau de pluie pourrait même être adoptée pour Matera. Déjà certains habitants ont recours. en douce, à deux sources d’eau : le réseau d’eau de la ville, pour leur consommation d’eau potable, et celle des pluies, pour alimenter toilettes et salles de bains. Certaines des vieilles citernes, toujours conservées dans les maisons restaurées, reprennent alors réellement du service. Le mythe de l’autosuffisance à portée de main …
Marina Julienne. Photos : Agostino Pacciani pour Eurêka